• La tragédie du machinisme pour l'humanité

    La tragédie du machinisme pour l'humanité

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    L’on sait que nous avons, parmi nos auteurs préférés, l’historien italien Guglielmo Ferrero, qui a si parfaitement utilisé les concepts de l’“idéal de perfection” et de l’“idéal de puissancepour définir en le symbolisant l’affrontement entre la Tradition (idéal de la perfection) et la modernité (idéal de la puissance).

    L’on sait moins qu’il épousa Gina Lombroso, licenciée en lettres et philosophie, diplômé en médecine, vulgarisatrice scientifique, militante du féminisme, auteure de nombreux ouvrages (voir son profil sur Wikipédia). L’intérêt de la carrière de Lombroso est qu’elle fut consacrée pour une part importante à cette activité qu’on décrit aujourd'hui et complaisamment comme moderniste et même postmoderniste qu’est le féminisme, et qu’elle se conclut en tournant toute son attention vers la critique fondamentale de la modernité.

    (…Un peu vite d’ailleurs définie comme action libératrice “moderniste”, le “féminisme”, comme de nombreuses activités que la modernité s’attribue indûment. Le féminisme est un activisme qui est en grande partie né des excès initiaux de la classe bourgeoise installée d’une façon constitutive et dominante à partir du début du XIXème siècle, et donc opérationnalisation sociale de la modernité, dans le contexte de l’évolution de la civilisation devenant contre-civilisation après l’explosion du “déchaînement de la Matière”.

    Le féminisme actuel tel qu’il est vécu dans ses outrances est donc une marque de la dérive autodestructrice de la modernité puisqu’elle s’attaque à une structuration sociale qui est née avec la modernité. En un sens, les féministes type-Lombroso étaient des réactionnaires antibourgeoises, donc antimodernistes ; les actuelles féministes, elles, sont simplement une partie de la révolte sociétale machinée par la surpuissance du Système contre sa propre structure, donc à finalité autodestructrice.)

    Dans La rançon du machinisme (ou Tragédie du progrès mécanique dans son titre italien originale), Lombroso complète les travaux de son mari en développant une analyse remarquable de la société telle qu’elle se développe dans le mode catastrophique sous l’empire de la machine et de la technique.

    On observera que sa critique rejoint, ou plutôt est rejointe selon la chronologie par celle que fera Toynbee dans les années 1940 sur la perte d’une vision générale du monde au profit (?) d’une multitude de visions parcellaires spécialisées. La modernité entraîne la spécialisation, développant une formidable puissance aux dépens d’une perte vertigineuse de la conscience du sens des choses par l’appréciation générale de l’évolution. On retrouve parfaitement le schéma qu’impose le Système et qui parvient aujourd’hui au chaos de la catastrophe de son développement final (la Grande Crise Générale d’effondrement du Système).

    (Sur Toynbee, voir notamment le 17 mars 2017 : « Toynbee a développé l’idée d’une succession cyclique des civilisations, les civilisations suivant elles-mêmes une évolution cyclique se terminant par une décadence (une chute, un effondrement) qui permet à une autre civilisation de lui succéder.

    Il constate alors, – même s’il n’en tire pas en 1948 toutes les conséquences que nous devons en tirer en 2017, – que nous sommes, avec la civilisation occidentale, dans un blocage parce que la surpuissance de cette civilisation (le technologisme, ou “la technique”) empêche toute autre civilisation de se développer et maquille notre décadence sous divers artifices permis par le technologisme, ainsi nous faisant survivre par “acharnement thérapeutique”, alors que le sens même de cette civilisation se rapproche comme on le voit chaque jour d’une sorte de néant entropique. [Déjà, Toynbee notait en 1948 le “regard déformé d'un contemporain occidental dont “l'horizon historique s'est largement étendu, à la fois dans les deux dimensions de l'espace et du temps”, et dont la vision historique “s'est rapidement réduite au champ étroit de ce qu'un cheval voit entre œillères, ou de ce qu'un commandant de sous-marin aperçoit dans son périscope”...”] »)

    On observera la remarquable actualité de cette critique de la modernité de Lombroso, dont tous les jugements trouveraient leur place aujourd’hui, bien sûr multipliés ad nauseam dans le sens de la quantité par l’accélération formidable du “progrès” de la machine et des techniques. L’époque de l’entre-deux-guerres, de 1919 aux années 1933-1934 où l’intérêt passa au politique et au combat idéologique faussaire, est l’époque la plus féconde de la critique de la modernité et du progrès, jusqu’à notre époque depuis les années 1990 où cette critique est revenue au premier plan. C’est durant cette période que se développe une critique extrêmement incisive et de type civilisationnel, notamment contre l’américanisme avec son machinisme symbolisé par Henry Ford (le “fordisme”) et l’américanisation de la culture qui est la force d’influence pour imposer ce machinisme, avec le développement des technologies de communication, de l’hollywoodisme, etc.

    (Cette critique se trouve aussi bien chez un Duhamel dans Scènes de la vie future que chez un Siegfried dans Les États-Unis aujourd’hui, que chez Dandieu-Aron [Robert Aron] dans Le cancer américain, parmi un foisonnement extraordinaire d'autres ouvrages de même tendance, venus en grande majorité d'auteurs français. Elle est effectivement civilisationnelle et implique la modernité, les USA n’étant considérés que comme son “modèle” le plus avancé, tandis qu’elle deviendra ensuite, jusqu’à la fin de la Guerre froide, idéologique et portant essentiellement sur la politique des USA.)

    Il y a donc un lien très ferme à établir entre ces deux époques, celle de l’entre-deux-guerres et la nôtre, qui constituent deux prises de conscience de la catastrophe de la modernité. La première répond à la catastrophe de la Grande Guerre, qui fut la première démonstration du caractère catastrophique et entropique de la production centrale de la modernité issue du “déchaînement de la Matière”, la seconde (la nôtre) répondant à la “fin des idéologies” comme matière dominante de la pensée depuis 1933-1934 pour déboucher sur le constat de l’évidence catastrophique et entropique de cette même production moderniste, cette fois entrée dans sa phase finale dite surpuissance-autodestruction. (Cette thèse se retrouve dans La Grâce de l’Histoire, Tome-I.)

    Voici donc un extrait de La Rançon du machinisme, traduit de l'italien par Henri Winckler, préface de Guglielmo Ferrero, 1931, sans doute chez l’éditeur Rieder. (En italien : Le tragedie del progresso meccanico, Bocca, Torino, 1930.)

    dedefensa.org


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